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s’échappait avec une ardente prière de ses lèvres entr’ouvertes. Ses traits, comme la veille, trahissaient une émotion et une piété infinies. Comme la veille, des larmes ne cessaient de couler et de se consumer sur les joues brûlantes, comme pour laver quelque terrible crime. L’endroit était sombre. Par instants seulement la flamme d’une lampe agitée par le vent éclairait d’une intermittente lueur le visage de l’inconnue dont chaque trait se gravait dans la mémoire d’Ordinov, dans son regard et dans son cœur. Enfin, n’y tenant plus, la poitrine convulsivement oppressée, il éclata en sanglots et heurta de sa tête en feu les dalles glacées. Il n’entendit, il ne sentit rien, sauf au cœur, comme s’il allait cesser de battre, un spasme très-douloureux.

Était-ce la solitude qui avait développé en lui cette extrême impressionnabilité et laissé ainsi ses sens sans défense, comme à découvert ? S’était-elle amassée, cette effervescence, dans l’angoisse des insomnies sans bruit et sans air ? Avait-il fallu tous ces efforts désordonnés et toutes ces impatientes émotions de l’esprit pour qu’enfin le cœur pût s’ouvrir, trouver une issue et prendre son