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Du reste, je savais bien que pourtant je ne les lui donnerais pas afin de pouvoir aller au dîner de Zvierkov.

J’eus, cette nuit-là, de terribles cauchemars.

Le lendemain matin, je sautai de mon lit, tout agité, comme si quelque chose d’extraordinaire allait se passer. J’étais sûr que ce jour-là marquerait dans ma vie un changement radical. (C’était d’ailleurs la pensée que m’inspirait le moindre événement.) Je revins de mon bureau deux heures plus tôt que d’ordinaire, pour m’habiller. Je me promis de ne pas arriver le premier, pour qu’on ne pensât pas que je fusse ravi de l’occasion et que j’eusse hâte d’en profiter. Je cirai mes bottes, car Apollon pour rien au monde n’aurait ciré mes bottes deux fois par jour. Je dus lui voler subrepticement les brosses, ayant horriblement peur qu’il me méprisât un peu plus s’il savait que, pourtant, je cirais moi-même mes bottes. Puis j’examinai mes habits : vieux et usés ! Mon uniforme était passable, mais va-t-on dîner en uniforme ? J’avais juste sur un genou une grande tache jaune. Je pressentis que cela seul m’enlèverait les neuf dixièmes de ma dignité. Eh ! cette vile pensée !