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différent de tous : « Je suis seul, et eux ils sont le monde », pensais-je, et je méditais là-dessus à perte de vue. ― J’ai essayé de me lier avec certains de mes collègues, jouant aux cartes, buvant de la vodka, et discutant sur les chances d’avancement.

Mais ici permettez-moi une petite digression.

Nous autres, Russes, nous n’avons jamais eu de ces romantiques éthérés comme les Allemands et surtout les Français qui ne peuvent plus descendre du ciel, la France s’abîmât-elle sous les barricades et les tremblements de terre. ― Je parle des romantiques : c’est que je me faisais parfois le reproche de romantisme… ― Eh bien ! dis-je, les Français sont des sots, ― et nous n’en avons pas de tels sur notre terre russe. Chacun sait cette vérité : c’est par là surtout que nous nous distinguons des pays étrangers. Nous sommes très-peu éthérés, nous ne sommes pas de purs esprits. Notre romantisme, à nous, est tout à fait opposé à celui de l’Europe : et le sien et le nôtre ne peuvent avoir de communes mesures. (Je dis romantisme ; permettez-le-moi. C’est un petit mot qui a fait humblement son service, il est vieux, et tout le monde le connaît.) Notre romantisme à nous comprend