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Tout ce qui t’était arrivé avant moi
Quand soudain, cachant 'ton visage dans tes mains,
Pleine de honte et de terreur,
Tu fondis en larmes,
Révoltée, désespérée…

(D’un poëme de Nekrassov.)

La neige tombe, aujourd’hui, presque fondue ; jaune, sale. Voilà bien des jours qu’il neige. ― Et il me semble que c’est la neige fondue qui me remet en mémoire une histoire de ma jeunesse. Contons donc cette histoire à propos de la neige fondante.

J’avais trente ans. Ma vie était déjà triste, désordonnée, solitaire jusqu’à la sauvagerie. Je n’avais pas d’amis, j’évitais toute relation, et je me blottissais de plus en plus dans mon coin. À mon bureau, je ne regardais personne ; mes collègues me traitaient comme un original, et même avaient pour moi une certaine répulsion. Je me suis demandé bien souvent pourquoi j’étais seul l’objet de cette répulsion… Ainsi l’un d’eux avait un visage dégoûtant, couturé de petite vérole, et dans la physionomie quelque chose de répugnant, ― un visage à n’oser le regarder. Un autre était sale, puant. Pourtant ni l’un ni l’autre ne paraissaient