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fuir instinctivement tout ce qui pouvait le distraire ou l’émouvoir sans ébranlement utile pour la pensée. Et il se prit à songer tristement et avec une sorte de repentir à son vieux coin où il était si sûrement à l’abri de semblables accidents ; puis une angoisse s’empara de lui à la pensée des tracas d’un déménagement et de l’ennui d’être encore dans l’indécision à ce sujet. En même temps il se trouvait humilié de tant s’occuper d’une telle vétille. Enfin fourbu, incapable de lier deux idées, il remarqua avec surprise qu’il avait dépassé sa maison sans s’en apercevoir. Étourdi, hochant la tête en songeant à cette anormale distraction, il l’attribua à la fatigue, et, gravissant l’escalier, entra dans sa mansarde. Là, il alluma une bougie ; mais aussitôt l’image de la jeune femme éplorée s’offrit très-nettement à son imagination. Si ardente et si forte fut cette impression, son cœur suivait avec une telle prédilection les doux et tendres traits de ce visage bouleversé par une terreur et un attendrissement mystérieux, baigné par des larmes d’exaltation ou de puéril repentir, que les yeux d’Ordinov se troublèrent et qu’il sentit un feu s’allumer dans ses veines.