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ment je n’avais pas la faculté d’être méchant. À chaque instant, je constatais en moi des éléments incompatibles avec un tempérament méchant ; je les sentais grouiller en moi, ces éléments, et je savais qu’ils grouillaient en moi depuis toujours, et qu’ils s’efforçaient de se manifester à la vie extérieure, de sortir de l’ombre où je les maintenais ; mais je ne les laissais pas sortir, non, je ne les laissais pas ! Exprès ! je ne les laissais pas sortir, exprès ! J’en souffrais, j’en rougissais. J’en avais des convulsions, et à la fin j’en étais las, oh ! comme j’en étais las ! ― Dites donc, messieurs, est-ce que je ne vous fais pas l’effet d’avoir quelque regret, quelque repentir, et de vous demander, en quelque sorte, de me pardonner ?… N’est-ce pas ? cela vous paraît certainement tel… Mais je vous assure que cela m’est indifférent…

Devenir méchant ! Mais puis-je seulement devenir quelque chose ? Ni méchant ni bon, ni coquin, ni honnête, ni héros ni goujat. Maintenant j’achève de vivre dans mon coin, et j’achève aussi de m’enrager avec cette consolation : que sérieusement un homme d’esprit ne peut être ni coquin, ni honnête, ni rien, et qu’il n’y a que les sots qui