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tiroir. Je n’espérais pourtant pas un récit aussi circonstancié, et ma surprise fut grande quand j’ouvris le manuscrit que j’avais acheté à Apollon. – (Apollon était le domestique d’Ordinov. Ordinov le détestait, et c’est sans doute pour ce motif qu’il l’avait institué son héritier.)

Le récit était précédé d’une assez longue et un peu désordonnée discussion qu’Ordinov supposait entre lui-même et des lecteurs imaginaires. Je n’ai pas cru devoir retrancher ces pages qui jettent de vives lumières sur l’âme de cet homme extraordinaire.

C’est donc le manuscrit même d’Ordinov qu’on va lire. – Il se considérait, et n’avait pas tort, comme exilé du monde en soi-même, loin du mouvement et de la lumière, loin de la vie. Aussi retrouvera-t-on souvent dans ces notes le mot « souterrain ». Il vivait, en effet, en une sorte de souterrain spirituel, il avait un esprit souterrain, toujours agitant d’obscurs problèmes, toujours sondant les ténèbres de sa pensée, toujours creusant plus avant et plus profond dans les mystères de sa conscience : « la conscience, cette maladie ! » écrit-il quelque part. Du temps déjà de son amour