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aimait errer par les rues, longtemps, sans but, choisissant surtout les heures obscures et les lieux éloignés et déserts.

Un triste soir de printemps morbide, et dans un de ces lieux funestes, il rencontra Yaroslav Iliitch.

Yaroslav Iliitch a visiblement maigri. Ses yeux si doux sont ternes. Il semble tout accablé. D’ailleurs, il est pressé, il court pour une affaire, ses vêtements sont mouillés et tachés de boue, et de toute la soirée la pluie n’a cessé de prendre pour une gouttière le nez, toujours honnête, mais un peu bleui, d’Yaroslav Iliitch. De plus, il a laissé pousser ses favoris. Précisément ces favoris imprévus et cette affectation d’éviter un ancien ami intriguèrent Ordinov. Il se sentit offensé, blessé, lui qui pourtant fuyait la pitié. Il aurait préféré qu’Yaroslav Iliitch fût encore cet homme d’autrefois, simple, naïf, un peu bête, avouons-le, mais qui, du moins, ne posait pas pour la désillusion et n’annonçait aucun projet de devenir plus intelligent. Et n’est-ce pas très-désagréable de retrouver tout à coup intelligent un sot que nous avons aimé autrefois précisément peut-être pour sa sottise ? D’ailleurs, la méfiance d’Yaroslav Iliitch ne dura