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Elle le poursuivit longtemps, et chaque jour elle progressait, devenant une probabilité, une réalité. Il lui semblait, – et il finit par y croire, – il lui semblait que l’esprit de Catherine était sain et que pourtant Mourine avait raison de l’appeler « cœur faible ». Il lui semblait qu’un mystère inavouable la liait au vieillard, mais qu’elle n’avait pas la conscience du crime et qu’elle se soumettait innocemment à cette domination infâme. Qu’étaient-ils l’un pour l’autre ?… Son cœur battait d’une colère impuissante en songeant à la tyrannie qui pesait sur ce pauvre être. Les yeux épouvantés de son âme tout à coup voyante suivaient la pauvre fille dans la chute progressive qu’on lui avait savamment et traîtreusement ménagée : comme on l’avait torturé, le faible cœur ! Comme on avait méchamment interprété contre lui les textes immuables ! Comme on l’avait parfaitement aveuglé ! Comme on avait avec adresse exploité la fougue de sa nature ! Et, peu à peu, voilà qu’on avait coupé les ailes de cette âme née libre et maintenant incapable de prendre son essor vers la vie vraie…

Ordinov devint plus sauvage encore. (Il faut avouer que ses Allemands ne le gênèrent en rien.) Il