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fatalisme, envahissait son âme. Il souffrait, et implorait de Dieu le terme de ses souffrances.

La servante du logeur, une Russe, une vieille dévote, racontait avec délices comment son locataire priait Dieu, comment il restait, des heures entières, comme inanimé sur les dalles de l’église…

Il n’avait confié à personne son malheur. Mais souvent, à l’heure du crépuscule, quand les cloches lui rappelaient le moment inoubliable où il s’était agenouillé auprès d’elle dans le temple de Dieu, écoutant battre le cœur de la jeune fille et baignant de joyeuses larmes cette espérance qui traversait sa vie solitaire, – alors un orage se levait dans son âme à jamais meurtrie. Son esprit chavirait, toutes les tortures de l’amour recommençaient pour lui ; il souffrait ! Il souffrait ! Et il sentait que son amour augmentait avec sa souffrance. Les heures et les heures passaient : il restait immobile sur sa chaise, oubliait tout, et le monde, et sa pâle existence, et lui-même, morne, abandonné, et il pleurait silencieusement et parfois se surprenait à murmurer : « Catherine ! Ma sœur solitaire !… »

Une pensée terrible s’ajouta à toutes ses tortures.