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mort ? Pourquoi mon cœur me fait-il souffrir ? Pourquoi ai-je connu Catherine ?

— Pourquoi ?

Mourine sourit et resta rêveur.

— Pourquoi ? Je ne sais, — dit-il enfin. — Un cœur de femme n’a pas la profondeur de la mer. Tu l’apprendras par toi-même !… et c’est vrai, barine, qu’elle voulait s’enfuir avec vous de chez moi, c’est vrai, elle méprisait le vieillard, elle pensait lui avoir pris tout ce qu’il avait de vie… Est-ce que vous lui avez plu tout d’abord, ou le simple besoin de changement ? Pourtant je ne la contredis en rien : si elle voulait du lait d’oiseau[1], je lui en donnerais. Elle a de l’orgueil. Elle voudrait être libre, mais elle ne saurait que faire de sa liberté. Il vaut donc mieux, en somme, que les choses restent comme elles sont. Hé ! Barine, vous êtes trop jeune, vous avez le cœur trop chaud : vous voilà comme une fille abandonnée qui essuie ses larmes avec sa manche. Oui, vous n’avez pas d’expérience, vous ne savez pas qu’un cœur faible est incapable de se conduire. Donnez-lui tout : il viendra et vous le rendra. Donnez-lui un

  1. Expression russe.