Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/127

Cette page n’a pas encore été corrigée

D’ailleurs, elle semblait avoir perdu le sentiment de la réalité, elle était visiblement en proie à une idée fixe. Elle se laissa tomber auprès du vieillard endormi, l’enlaça de ses bras, et fixement, comme rivée à lui, se mit à le contempler. Elle ne semblait pas s’apercevoir qu’Ordinov lui tenait la main. Soudain elle lui jeta un long et pénétrant regard, et un sourire amer plissa ses lèvres.

— Va, va-t’en, – dit-elle à voix basse, tu es ivre et méchant, tu n’es plus mon hôte !…

Puis elle se retourna vers le vieillard, épiant son souffle et caressant du regard son sommeil, retenant elle-même sa respiration.

Un désespoir doublé de rage serra le cœur d’Ordinov.

— Catherine ! Catherine ! – murmura-t-il en serrant la main de la jeune fille.

La souffrance crispa ses traits, elle releva la tête : mais il y avait sur son visage tant de raillerie, de mépris et d’effronterie qu’Ordinov eut peine à supporter son regard. Puis elle lui montra le vieillard endormi, et Ordinov crut retrouver toute la haine dédaigneuse de son ennemi dans