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fois faisait tressaillir Ordinov, et réduisait à l’impuissance ses plus ardentes colères.

Rêveur, avec une sorte de résignation triste, le vieillard sourit quand Catherine s’arrêta. Il n’avait cessé de la regarder tant qu’elle avait parlé. Maintenant son cœur était blessé, les paroles fatales avaient été dites.

— Tu veux beaucoup savoir en une seule fois, petit oiseau qui te sens des ailes et qui brûles de les essayer. Verse donc, verse-moi plus vite un plein gobelet, que je boive d’abord à la liberté. Car autrement je ne pourrais peut-être détourner de mes souhaits le mauvais œil. Le diable est fort, le péché n’est pas loin.

Il leva son verre et le vida. Plus il buvait, plus il pâlissait. Ses yeux rougissaient comme des braises : leur éclat fiévreux, l’effrayante pâleur de son visage présageaient une nouvelle crise.

Le vin était fort : un seul gobelet avait troublé la vue d’Ordinov, son sang s’enflammait, son esprit vacillait. Il se versa de nouveau à boire, sans savoir ce qu’il faisait, pensant vaguement peut-être calmer ainsi son agitation, mais le sang se précipita dans ses veines plus violemment encore. Il eut un vertige, et dès lors,