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quelles mers et quelles forêts est mon hardi fiancé ? M’aimera-t-il bien ? Se fatiguera-t-il vite de moi ? Me sera-t-il fidèle ? Dis-moi aussi, vieillard, allons-nous longtemps encore vivre ensemble nous deux, dans notre coin sombre, parmi les livres noirs ? Quand faudra-t-il, vieillard, te saluer bien bas, te souhaiter la santé, le repos, et te dire adieu ? Te remercier pour ton pain et ton sel, pour le boire et le manger, et pour les jolis contes que tu me contais ?… Fais bien attention, dis-moi toute la vérité, ne mens pas, montre ta science.

Son animation allait croissant jusqu’au dernier mot, et brusquement sa voix s’éteignit. Ses yeux étincelaient, sa lèvre supérieure tremblait. Il y avait une raillerie cruelle dans ses paroles, mais sa voix était pleine de sanglots. Elle se pencha sur la table et regarda le vieillard en face, fixement. On entendait son cœur battre.

Ordinov s’écria de transport, et il allait se lever. Mais un regard oblique et rapide du vieillard cloua de nouveau le jeune homme en place.

Il y avait du mépris, de l’ironie, de l’inquiétude, du dépit et en même temps une curiosité malicieuse dans ce regard oblique qui chaque