Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/120

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palpitaient. Sa natte, trois fois nouée sur sa nuque, tombait négligemment sur son oreille gauche. Une sueur légère perlait à ses tempes.

— Dis-moi l’avenir, vieillard, dis-moi mon avenir avant d’avoir noyé ton esprit dans le vin. Voici ma main blanche… Ce n’est pas pour rien qu’on t’appelle sorcier. Tu as étudié dans les livres et tu connais toutes les sciences diaboliques. Regarde donc, vieillard, regarde et dis-moi tous les malheurs qui me menacent. Mais ne va pas mentir ! Dis comme tu sais. Ta fille sera-t-elle heureuse ? Lui pardonneras-tu ou appelleras-tu sur son chemin le malheur ? Dis-moi, aurai-je une chaude retraite ou, toute ma vie[1], comme un oiseau errant, serai-je orpheline parmi les bonnes âmes, cherchant vainement ma place ? Qui me hait ? Qui m’aime ? Qui veut me nuire ? Mon cœur sera-t-il solitaire ? Lui si jeune ! Lui si chaud ! Solitaire tout son siècle et mort avant sa mort ? Ou bien trouvera-t-il son égal, celui qui doit battre avec lui à l’unisson, joyeusement… jusqu’au nouveau chagrin ? Sous quels cieux bleus, par delà

  1. Mot à mot : tout mon siècle ; locution russe.