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d’une voix un peu aigre et mécontente. Ce qui paraît beaucoup à l’un est peu de chose pour l’autre. L’un veut donner tout sans rien prendre, l’autre prend et ne donne pas. Et toi, pas de reproches ! Ajouta-t-elle en regardant Ordinov presque durement. Un homme est ainsi, un autre est autrement. Sais-tu donc quelqu’un pour qui la vie soit douce ?… – Vieillard, verse dans ton gobelet, verse ! Bois au bonheur de ta fille bien-aimée, ta douce esclave soumise dès le premier jour, verse et bois !

— Soit ! Bois donc aussi, dit le vieillard en prenant le vin.

— Arrête, vieillard, attends ! Laisse-moi d’abord te dire un mot.

Catherine s’accouda sur la table. Ses yeux passionnés plongeaient au fond de ceux du vieillard. Une résolution singulière se lisait sur son visage. Ses mouvements étaient brusques, inattendus. Elle paraissait enflammée, quelque chose d’étrange se passait en elle. Mais sa beauté augmentait avec son animation. Ses lèvres entr’ouvertes par un sourire laissaient éclater la blancheur de ses dents. Son souffle était saccadé. Ses narines