trument à une race plus noble, mais n’aura pas de rôle propre dans les destinées de l’humanité. Il ajoute que la conscience de cette infériorité est de nature à ruiner, en chaque Russe, pris isolément, le goût de l’effort individuel.
— Et moi, répliqua Tikhomirov avec impatience, j’estime qu’elle n’est déprimante qu’en apparence. Si cette idée était assimilée par tous, elle délierait les mains et libérerait bien des esprits du préjugé patriotique.
— Je n’ai pas dit un mot du patriotisme, rectifia Kraft, que ce débat semblait excéder.
— On peut laisser de côté la question patriotique, opina Vassine, silencieux jusqu’alors.
— Est-il nécessaire, criait le professeur (lui seul criait, tous les autres parlaient calmement), de travailler expressément pour la Russie ? La Russie joue un rôle sacrifié, d’accord. Mais s’il est décevant aujourd’hui de se consacrer à elle, il ne l’est pas de se consacrer à l’humanité. D’ailleurs, comment Kraft peut-il être patriote, lui qui a cessé de croire en la Russie ?
— Sans compter qu’il est allemand, émit un interrupteur.
— Cela n’a rien à faire avec l’objet qui nous occupe, remarqua Diergatchov.
— Ne faites donc pas de votre idée une impasse, continuait Tikhomirov sans écouter personne. Si la Russie n’est qu’un instrument, pourquoi ne pas se servir de cet instrument ? C’est encore un beau rôle. Elargissons le problème. L’humanité est à la veille d’une transformation dont les grandes lignes se dessinent déjà. Seuls les aveugles nient le problème qui se pose. Laissez la Russie si vous n’avez plus foi en