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indiqués, je me levai et m’approchai d’eux pour lier connaissance. Je les voyais pour la première fois. Kraft était un garçon de vingt-six ans, blond, assez maigre, d’une taille au-dessus de la moyenne.

— Je suis très content que vous soyez venu, me dit-il, j’ai une lettre qui vous concerne ; nous resterons un peu ici, puis vous m’accompagnerez chez moi.

Diergatchov (vingt-cinq ans) était un homme de taille moyenne, large d’épaules, brun, abondamment barnu, au regard avisé et circonspect. Bien qu’il parlât peu, c’était lui, évidemment ; qui dirigeait la conversation. La physionomie de Vassine ne me frappa pas beaucoup : j’avais pourtant entendu parler de lui comme de quelqu’un d’extrêmement intelligent encore que peu communicatif : de fait, dans sa face franche et dure, ses grands yeux gris clair brillaient d’intelligence. Un monsieur de vingt-sept ans, dont les bajoues se décoraient de favoris noirs et qui était professeur ou quelque chose dans ce genre, se mani­festait volubile et beau parleur. Et il y avait aussi, mais celui-là silencieux et attentif, un garçon de mon âge, à la figure ridée comme une pomme ; il était vêtu de la blouse nationale : un paysan.

Reprenant la conversation que notre entrée avait interrompue, le professeur à favoris s’écriait :

— Cette idée, je suis prêt à l’adopter, même sans preuves mathématiques, mais...

— Attends, Tikhomirov, interrompit Diergatchov ; les nouveaux venus ne savent pas ce dont il s’agit... Kraft prétend établir scientifiquement que le peuple russe est un peuple de second ordre...

— De troisième ! cria quelqu’un.

— ... de second ordre, un peuple qui servira d’ins-