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UN ADOLESCENT 513

reste, la réalité sent toujours la semelle... Et puis, l’homme vivra-t-il jamais sans Dieu ? Pendant une certaine période, c’est possible. Même, je ne doute pas que cette période advienne ; mais là je me représentais un tout autre tableau... — Lequel ? — Je me figures mon cher, commença-t-il avec un sourire pensif, le combat terminé. Après les tempê­tes de boue et d’imprécations, le calme s’est fait et les hommes restent seuls, comme ils le voulaient : la grande idée qui les avait réchauffés et nourris a dis­paru comme ce soleil majestueux du tableau de Claude Lorrain. Et les hommes, prenant conscience d’eux-mêmes, éprouvent la tristesse d’un immense abandon ; puis ils se serrent plus étroitement puisque aussi bien ils constituent désormais tout les uns pour les autres ! La grande idée de l’immortalité s’étant abolie, l’amour qu’ils dédiaient jadis à Celui qui était l’Immortalité se tourne vers l’univers, vers les hommes, vers chaque brin d’herbe. Ils se mettent à aimer la vie avec frénésie. « Que demain soit mon dernier jour, pense chacun en regardant le soleil qui se couche, mais d’autres restent et après eux leurs enfants,» — et cette pensée, qu’ils resteront s’aimant toujours et tremblant l’un pour l’autre, aura remplacé la pen­sée de la rencontre dans l’au-delà. Ils voudront étein­dre dans l’amour la grande angoisse de leurs cœurs... L’éteindront-ils ?... Mon cher, s’interrompit-il tout à coup en souriant, tout cela c’est de la fantaisie. Mais je me complaisais à ce tableau. Ma croyance n’est pas en cause (je suis déiste)... Or, il est remarquable que je terminais toujours mon petit tableau par l’ap­parition, comme dans Heine, du « Christ sur la Bal­tique ». Je ne pouvais pas me passer de Lui, je ne