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moi. « Et il viendra aujourd’hui ici, cet homme qui lui a donné un soufflet... »

— Eh bien, quoi ? dit le prince (son expression ve­nait de changer complètement), il propage toujours Dieu comme jadis ? et... et... peut-être de nouveau commencera par les fillettes... par les fillettes pas en­core emplumées... Ah ! ah !

— Qui propage? qui... par les fillettes?

— André Pétrovitch! Crois-tu qu’il nous ait as­sez tarabustés : qu’est-ce que nous mangeons ? à quoi nous pensons ? « Si tu es croyant, disait-il, alors prends le froc ? » Il l’exigeait presque, ma foi ! Même s’il avait raison, n’était-il pas trop rigoriste ? Surtout il fallait qu’il nous effrayât du jugement dernier, moi et tout le monde...

— Je n’ai rien remarqué de tel, et voilà un mois que je vis près de lui, répondis-je avec impatience.

J’étais agacé de le voir divaguer si misérablement.

— Ça, il ne le dit pas maintenant, mais crois bien que ce que je te rapporte est exact. C’est un homme d’esprit, et très savant, mais est-ce une intelligence saine ? C’était après le séjour de trois ans qu’il fit à l’étranger... et j’avoue qu’il m’a fort troublé... et il a troublé tout le monde. Cher enfant, j’aime le bon Dieu. Je m’applique à être croyant, et je suis croyant, en effet... Mais il me mettait hors de moi. Je conviens qu’un jour je lui ai donné la réplique sur un ton assez léger, mais cela dans un accès de dépit, et d’ailleurs l’essence même de la question que je lui po­sais était sérieuse : « S’il existe un Etre suprême, lui ai-je dit, et si cet Etre existe personnellement et non comme un esprit quelconque, introduit dans la créa­ture comme un liquide, alors où demeure-t-il ? » Mon ami, c’était bête, évidemment ; mais dans ces sortes