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avec ces joues vermeilles et tout cet air de santé, ait un tel dégoût des femmes. Comment se fait-il que, jeune comme tu es, la femme ne produise pas sur toi une impression plus... favorable. Moi, mon cher, quand j’avais onze ans, mon précepteur m’incrimi­nait de regarder trop attentivement les statues du Jardin d’été.

— Vous désirez, il semble, prince, que j’aille trou­ver une Gothon et que je revienne vous faire la re­lation de cette belle aventure... Ce n’est pas la peine. Moi-même, non pas à onze ans, mais à treize, j’ai vu, dans sa nudité, non une statue, mais une femme. C’est même de là que date mon dégoût de ces espèces.

— Sérieusement ? Mais, cher enfant[1], une belle jeune femme a l’odeur d’une pomme, et tu parles de dégoût ?...

— Avant d’aller au lycée, alors que j’étais à la pe­tite pension Touchard, j’avais un camarade, le sieur Lambert. Il me battait volontiers, car il était mon aîné de trois ans ; moi je lui rendais des services et, par exemple, je lui ôtais ses bottes. Lors de sa con­firmation, l’abbé Rigaud vint le féliciter de son zèle pieux ; ils se jetèrent, tout en larmes, au cou l’un de l’autre. Je pleurai aussi, et je jalousais ces épanchements. A la mort de son père, il sortit de chez Tou­chard. Je ne l’avais pas vu depuis deux ans, quand, un jour, nous nous rencontrâmes dans la rue. Il m’annonça qu’il viendrait me voir. J’étais déjà au lycée, et je demeurais chez Nicolas Siméonovitch. Il se présenta le matin, me montra cinq cents roubles et me convia à le suivre. Comme au temps où il me battait, encore maintenant il avait besoin de moi,

  1. Nous imprimerons en italiques tous les mots qui sont en français dans le texte russe.