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— Ah ! vous recevez des appointements...

Il voulut bien ne pas continuer par la question « Pourquoi diable ?... » et simplement déclara ignorer à qui incombait le paiement de ma solde. Après quoi il avait piqué une tête dans ses registres.

Pourtant, il savait que je n’étais pas strictement inactif. Deux semaines auparavant, j’avais consacré quatre jours à la mise au net d’un brouillon du prince. Il s’agissait d’une suite d’ « idées » que celui-ci se proposait de formuler devant l’assemblée des actionnaires. Coordonner ces griffonnages et en cla­rifier le style n’était pas une tâche si aisée... Quand la rédaction fut au point, le prince me convia à une séance de critique : à cet effet, nous passâmes une journée en tête à tête ; il discuta très chaudement avec moi ; somme toute, il se déclara satisfait. S’est-il servi de mon travail ? je ne sais... De plus, j’avais libellé deux ou trois lettres d’affaires.

Autre cause pour quoi j’hésitais à réclamer mes appointements : j’avais décidé de donner ma démis­sion, persuadé qu’aussi bien les circonstances me for­ceraient à lui fausser compagnie... En m’habil­lant, ce matin-là, je sentis mon cœur battre à larges coups. Je refrénai mon émotion ; mais elle reprit le dessus au moment où j’entrai chez le prince. Ce même matin devait arriver cette personne, cette femme de qui j’attendais l’explication de tout ce qui me tourmentait, je veux dire la fille du prince, la jeune veuve, dont j’ai parlé déjà et qui était en inimitié avec Versilov, — bref, la générale Akhmakov : j’écris enfin son nom. Je ne l’avais jamais rencontrée, et j’eusse été fort en peine de rien pronostiquer au su­jet de notre entrevue, si même j’étais admis à la voir ; mais j’augurais (et peut-être sur des bases solides)