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sur le vieillard, était même son ami, — ami singu­lier envers qui le prince éprouvait une crainte un peu superstitieuse. Ils ne s’étaient pas vus ces temps derniers : l’acte fâcheux dont on incriminait Versilov touchait précisément la famille du prince ; mais Ta­tiana Pavlovna était ici, et par son intermédiaire je fus placé chez le vieux, qui était en quête d’un « jeune homme », scribe ou secrétaire. Il semblait donc qu’il voulût être agréable à Versilov, faire le premier pas vers lui, — et Versilov le lui permit. Le vieux prince agissait ainsi en l’absence de sa fille, veuve d’un général et qui assurément eût mis obs­tacle à ce pas. Je reviendrai là-dessus. Mais je veux noter que ce caractère anormal des relations du prince avec Versilov m’a frappé à l’avantage de celui-ci : si le chef de la famille offensée lui conserve son estime, quelle créance donner aux bruits en cir­culation ?

Cette Tatiana Pavlovna que je retrouvais à Péters­bourg y était une façon de personnage... Au cours de ma vie, chaque fois que j’avais dû m’installer quelque part, elle avait surgi, d’où ? sur quel ordre ? Le fait s’était produit à mon entrée à la pension Touchard, à mon entrée au lycée, à mon entrée chez l’inoubliable Nicolas Siméonovitch. Dans ces circonstances-là, elle passait avec moi toute la journée, inspectait mon linge et mes effets, courant à travers la ville pour telle ou telle formalité, telle ou telle emplette, veillant à ce que rien de ce qui m’était nécessaire ne me manquât ; cependant elle ne cessait de maugréer contre moi, elle me donnait en exemple maints garçons accomplis qu’elle inventait sans doute pour les besoins de la cause, elle me pinçait, me bourrait, me houspillait, disparaissait, sans lais­-