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Cette histoire, malgré tous mes efforts, m’est encore mystérieuse, après un mois de séjour à Pétersbourg. Versilov est-il coupable ou non ? Voilà ce qui m’importait ; voilà pourquoi j’étais venu. Tous s’étaient détournés de lui, notamment les hommes de poids, les hommes à influence, les hommes largement pavoisés d’honorabilité. Ils durent se détourner de lui à cause des bruits qui circulaient sur certain acte très bas et, ce que le monde tient pour pire, scan­daleux, qu’il aurait commis en Allemagne. On par­ lait même d’une gifle qu’il aurait reçue trop publi­quement d’un des Sokolski et à laquelle il n’aurait pas répondu par le moindre cartel. Ses enfants légitimes eux-mêmes (un fils et une fille) avaient rompu avec lui. Il est vrai que ce fils et cette fille fréquentaient dans la plus haute société grâce aux Fanariotov et au vieux prince Sokolski (ancien ami de Versilov). Cependant, en l’observant attentivement tout ce mois, j’ai pu voir qu’il était loin d’avoir abjuré toute arrogance, et, m’a-t-il semblé, ce n’est pas tant la société qui l’a exclu de son cercle, c’est lui plutôt qui a tenu à distance la société. Mais avait-il le droit de prendre vis-à-vis d’elle ces grands airs ? voilà ce qui m’inquiétait. La vérité, je la voulais con­naître péremptoirement et vite, car j’étais venu juger cet homme. Mes forces, je les lui cachais encore ; mais il me fallait ou me déclarer pour lui ou le repousser de moi. Cette éventualité-ci m’était douloureuse... J’en ferai enfin l’aveu complet : cet homme m’était cher.

Cependant, je vivais avec eux dans le même ap­partement, et je contenais à grand’peine, si même je la contenais, mon irritabilité. Au bout d’un mois, j’étais bien convaincu que je n’avais pas à faire fonds