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de mon argent de poche. Ces économies avaient commencé le jour même de l ’éclosion de mon « idée ».

Ma mère et ma sœur faisaient des travaux de cou­ture ; Versilov, lui, vivait oisif et conservait maintes habitudes assez dispendieuses. Il grognait horrible­ment, surtout à table. Tous ses procédés étaient d’un despote. Mais ma mère, ma sœur et Tatiana Pavlovna, et toute la famille de feu Andronikov (qui avait été tout ensemble chef de bureau dans quelque ministère et gérant des affaires de Versilov, et qui était mort depuis trois mois), famille consistant en un nombre considérable de femmes, l’adoraient comme un fétiche. Cela ne laissait pas de m’étonner. Quand, neuf ans auparavant, je l’avais vu, il avait incomparablement plus de lustre. Comment, en neuf ans, peut-on vieillir, se faner de la sorte ? Mon pre­mier sentiment, à le revoir, fut de déception, de ma­laise et de tristesse. Pourtant, ce n’était pas encore un vieillard : il avait quarante-cinq ans. Et, à le bien regarder, son masque, s’il n’avait plus la vivacité, l’assurance et l’éclat de jadis, impressionnait davantage : la vie en sa complexité s’y était inscrite...

La misère était peut-être le moindre des soucis de Versilov. Et, d’ailleurs, il avait toujours l’espoir d’avoir gain de cause dans un procès d’héritage qui était pendant depuis une année entre lui et les princes Sokolski : d’un jour à l’autre une propriété valant bien 70.000 roubles pouvait lui échoir ; lui qui avait dissipé trois héritages serait sauvé par un quatrième. En attendant les prospérités, on souffrait. Personne qui prêtât sur espérances.

Au surplus, Versilov n’allait chez personne, bien que parfois il s’absentât pour toute la journée. Il y a déjà plus d’un an qu’il a été chassé de la société.