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sassin. Si elle succomba, ce fut sous une de ces impulsions fortes qui fatalement et tragiquement étourdissent la victime. Peut-être était-elle éprise jusqu’à la mort... de la coupe de son habit, de la raie bien parisienne de ses cheveux, de sa façon si correcte de prononcer le français, le français dont elle ne comprenait pas un mot, ou de cette romance qu’il chantait au piano ! Elle était éprise de quelque chose qu’elle n’avait jamais encore vu ni entendu (il était très beau), et d’un coup elle s ’était, jusqu’à l’oubli de tout, éprise de lui, dé la coupe de son habit, de ses romances. J’ai entendu dire que chez les jeu­nes serves, même parmi les plus honnêtes, le cas n’était pas rare. Oui, cette raison était suffisamment puissante, et, pour expliquer le phénomène, il n’est nullement besoin de mettre en jeu le droit du maître ni la notion « humilité ». Ce jeune homme pouvait parfaitement avoir en lui assez de force charmeuse pour qu’une créature pure, et même, sinon surtout, une créature tout à fait différente de lui, tout à fait d’un autre milieu, fût attirée vers lui au prix de sa perte évidente. Ma mère, je veux croire, comprit net­tement que dans ce jeu tout concourait à sa perdition et peut-être n’est-ce qu’à la minute pathétique qu’elle cessa de voir le danger. Il en est toujours ainsi chez ces « sans défense » : elles voient l’abîme, et elles y marchent, candides.

Leur repentir coïncida avec leur péché. Versilov m’a dit avoir sangloté sur l’épaule de Macaire Ivanovitch, appelé, à cet effet, dans le cabinet de tra­vail du maître, — cependant qu’elle gisait inanimée dans sa chambrette qui donnait sur la cour.