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telle autre, il faudra l’étudier six mois pour discer­ner la source du charme qui émane d’elle et même pour percevoir ce charme. Celle-ci, pour la compren­dre, ce sera peu d’ouvrir les yeux et d’être entrepre­nant. C’est de bien autre chose qu’il s’agira ; j’en suis convaincu malgré mon inexpérience, et si je m’abuse, qu’il n’en soit plus question, et mettons toutes les femmes au rang d’animaux familiers ; on les gardera près de soi comme tels, — ce ne sera pas pour leur déplaire...

Je sais que ma mère n’était pas belle. Bien que je n’aie vu d’elle aucun portrait datant de cette époque, je sais qu’elle n’était pas belle. S’éprendre d’elle d’un coup, on ne le pouvait donc pas. Si Versilov se fût soucié simplement de « se distraire », il eût choisi une autre femme. Justement il y en avait une toute désigné à ses entreprises et qui n’était pas mariée, la chambrière Anfissa Constantinovna Sapojkov. N’eût-il pas été honteux qu’un homme qui arrivait là en lisant Anton Goromyka se fit un jeu de la sainteté du mariage, qu’un tel homme, se targuant odieusement de son droit de propriétaire, disloquât le mé­nage d’un de ses serfs ? Or, je le répète, il y a quel­ques mois, — donc vingt ans après les événements, il m’a parlé avec gravité de cet Anton Goromyka. Et Anton, on ne lui a dérobé que son cheval, — et non sa femme ! Evidemment il s’est passé quelque chose d’extraordinaire, grâce à quoi Mlle Sapojkov a perdu la partie (selon moi : a gagné. J ’ai insisté près de lui, une ou deux fois, l’an passé, à ces moments où on pouvait lui parler (on ne peut pas toujours lui parler), j’ai insisté sur toutes ces questions et j’ai remarqué que lui, malgré son flegme aristocratique et l’ascendant de l’âge, ne laissa pas que d’être un