causais une fois par an, me dit, sur un ton grave et en évitant mon regard :
— Sans doute, de tels sentiments vous honorent; mais, à votre place, quand même, je ne me ferais pas gloire d’être illégitime... et vous, pour dire cela, vous prenez un air de fête.
Je cessai de me vanter d’être illégitime.
Dieu! qu’il est difficile de s’exprimer en russe! — plus difficile que de s’exprimer en aucune autre langue européenne. J ’ai déjà eu l’occasion de le vérifier maintes fois dans mes relations verbales avec les gens. Leur richesse intérieure est plus grande que ne le décèle l’expression. Nos mots trahissent leur homme. Voilà que j’ai rempli trois pages à dire comment je passai ma vie à m’exaspérer de mon nom, et le lecteur aura déjà conclu que je m’exaspère expressément de n’être pas prince, mais Dolgorouki tout court. Il serait humiliant pour moi de m’expliquer.
Dans la valetaille de la propriété de M. Versilov (cinq cents âmes), il y avait une jeune fille, laquelle était âgée de dix-huit ans quand Macaire Dolgorouki, quinquagénaire, s’était avisé subitement de l’épouser. Les mariages de serfs se faisaient avec la permission du maître et quelquefois même sur son ordre. A cette époque, la tante était dans la propriété de M. Versilov. Tout le monde l’appelait « tante »; elle n’était, d ’ailleurs, la tante de personne, sauf peut--