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fonde… Je parlerai plus loin de ces sensations, que je considère comme très-curieuses ; mais on aura de la peine à les comprendre, j’en suis certain, car on ne peut juger de certaines choses, si on ne les a pas éprouvées soi-même. Il me suffira de dire que les privations intellectuelles sont plus pénibles à supporter que les tourments physiques les plus effroyables. L’homme du peuple envoyé au bagne se retrouve dans sa société, peut-être même dans une société plus développée. Il perd beaucoup son coin natal, sa famille, mais son milieu reste le même. Un homme instruit, condamné par la loi à la même peine que l’homme du peuple, souffre incomparablement plus que ce dernier. Il doit étouffer tous ses besoins, toutes ses habitudes, il faut qu’il descende dans un milieu inférieur et insuffisant, qu’il s’accoutume à respirer un autre air…

C’est un poisson jeté sur le sable. Le châtiment qu’il subit, égal pour tous les criminels, suivant l’esprit de la loi, est souvent dix fois plus douloureux et plus poignant pour lui que pour l’homme du peuple. C’est une vérité incontestable, alors même qu’on ne parlerait que des habitudes matérielles qu’il lui faut sacrifier.

Mais ces Polonais formaient une bande à part. Ils vivaient ensemble ; de tous les forçats de notre caserne, ils n’aimaient qu’un Juif, et encore, parce qu’il les amusait. Notre Juif était du reste généralement aimé, bien que tous se moquassent de lui. Nous n’en avions qu’un seul, et maintenant encore je ne puis me souvenir de lui sans rire. Chaque fois que je le regardais, je me rappelais le Juif Iankel que Gogol a dépeint dans Tarass Boulba, et qui, une fois déshabillé et prêt à se coucher avec sa Juive, dans une sorte d’armoire, ressemblait fort à un poulet. Içaï Fomitch et un poulet déplumé se ressemblaient comme deux gouttes d’eau. Il était déjà d’un certain âge, — cinquante ans environ, — petit et faible, rusé et en même temps fort bête, hardi, outrecuidant, quoique horriblement couard. Sa figure était