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fusil et je la pose à côté de moi ; puis j’appuie le canon contre ma poitrine, et avec le gros orteil du pied, — j’avais ôté ma botte, — je presse la détente. Le coup rate : j’examine mon fusil, je mets une charge de poudre fraîche, enfin je casse un coin de mon briquet et je redresse le canon contre ma poitrine. Eh bien ! le coup rate de nouveau. — Que faire ? me dis-je ; je remets ma botte, j’ajuste de nouveau ma baïonnette et je me promène de long en large, le fusil sur l’épaule. Qu’on m’envoie où l’on voudra, mais je ne veux plus être soldat. Au bout d’une demi-heure, arrive le capitaine qui faisait la grande ronde. Il vient droit sur moi : — « Est-ce qu’on se tient comme ça quand on est de garde ? » J’empoigne mon fusil et je lui plante la baïonnette dans le corps. On m’a fait faire quatre mille verstes à pied… C’est comme ça que je suis arrivé dans la section particulière.

Il ne mentait pas ; je ne comprends pourtant pas pourquoi on l’y avait envoyé. Des crimes semblables entraînaient un châtiment beaucoup moins sévère. — Sirotkine était le seul des forçats qui fût vraiment beau ; quant à ses camarades de la section particulière, — au nombre de quinze, — ils étaient horribles à voir ; des physionomies hideuses, dégoûtantes. Les têtes grises étaient nombreuses. Je parlerai plus loin de cette bande. Sirotkine était souvent en bonne amitié avec Gazine, — le cabaretier dont j’ai parlé au commencement de ce chapitre.

Ce Gazine était un être terrible. L’impression qu’il produisait sur tout le monde était effrayante, troublante. Il me semblait qu’il ne pouvait exister une créature plus féroce, plus monstrueuse que lui. J’ai pourtant vu à Tobolsk Kamenef, le brigand, qui s’est rendu célèbre par ses crimes. Plus tard, j’ai vu Sokolof, forçat évadé, ancien déserteur, et qui était un féroce meurtrier. Mais ni l’un ni l’autre ne m’inspirèrent autant de dégoût que Gazine. Je croyais avoir sous les yeux une araignée énorme, gigantesque, de la taille d’un homme. Il était Tartare ; il n’y avait pas de forçat