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— Parbleu ! Mariachka, Khavroschka, Tchekoundà… La Dvougrochevaïa (Quatre-KopeKs) était aussi ici.

— Eh quoi, demandai-je à Akim Akimytch, est-il possible que… ?

— Oui, cela arrive quelquefois, répondit-il en baissant les yeux, car c’était un homme fort chaste.

Cela arrivait quelquefois, mais très-rarement et avec des difficultés inouïes. Les forçats aimaient mieux employer leur argent à boire, malgré tout l’accablement de leur vie comprimée. Il était fort malaisé de joindre ces femmes ; il fallait convenir du lieu, du temps, fixer un rendez-vous, chercher la solitude, et ce qui était le plus difficile, éviter les escortes, chose presque impossible, et dépenser des sommes folles — relativement. — J’ai été cependant quelquefois témoin de scènes amoureuses. Un jour, nous étions trois occupés à chauffer une briqueterie, dans un hangar au bord de l’Irtych ; les soldats d’escorte étaient de bons diables. Deux souffleuses (c’est ainsi qu’on les appelait) apparurent bientôt.

— Où êtes-vous restées si longtemps ? leur demanda un détenu qui certainement les attendait ; n’est-ce pas chez les Zvierkof que vous vous êtes attardées ?

— Chez les Zvierkof ? Il fera beau temps et les poules auront des dents quand j’irai chez eux, répondit gaiement une d’elles.

C’était bien la fille la plus sale qu’on pût imaginer ; on l’appelait Tchekoundà ; elle était arrivée en compagnie de son amie la Quatre-Kopeks (Dvougrochevaïa), qui était au-dessous de toute description.

— Hein ! il y a joliment longtemps qu’on ne vous voit plus, dit le galant en s’adressant à la Quatre-Kopeks, on dirait que vous avez maigri.

— Peut-être ; — avant j’étais belle, grasse, tandis que maintenant on dirait que j’ai avalé des aiguilles.

— Et vous allez toujours avec les soldats, n’est-ce pas ?