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Bien que les forçats se moquassent d’Akim Akimytch et prétendissent qu’il était un peu fou, ils l’estimaient pourtant à cause de son adresse et de son exactitude.

Il connaissait tous les métiers possibles, et faisait ce que vous vouliez : cordonnier, bottier, peintre, doreur, serrurier. Il avait acquis ces talents à la maison de force, car il lui suffisait de voir un objet pour l’imiter. Il vendait en ville, ou plutôt, faisait vendre des corbeilles, des lanternes, des joujoux.

Grâce à son travail, il avait toujours quelque argent, qu’il employait immédiatement à acheter du linge, un oreiller, etc. ; il s’était arrangé un matelas. Comme il couchait dans la même caserne que moi, il me fut fort utile au commencement de ma réclusion.

Avant de sortir de prison pour se rendre au travail, les forçats se mettaient sur deux rangs devant le corps de garde : des soldats d’escorte les entouraient, le fusil chargé. Un officier du génie arrivait alors avec l’intendant des travaux et quelques soldats qui surveillaient les terrassements. L’intendant comptait les forçats et les envoyait par bandes aux endroits où ils devaient s’occuper.

Je me rendis, ainsi que d’autres détenus, à l’atelier du génie, maison de briques fort basse, construite au milieu d’une grande cour encombrée de matériaux. Il y avait là une forge, des ateliers de menuiserie, de serrurerie, de peinture. Akim Akimytch travaillait dans ce dernier : il cuisait de l’huile pour ses vernis, broyait ses couleurs, peignait des tables et d’autres meubles en faux noyer.

En attendant qu’on me mît de nouveaux fers, je lui communiquai mes premières impressions.

— Oui, dit-il, ils n’aiment pas les nobles, et surtout les condamnés politiques : ils sont heureux de leur nuire. N’est-ce pas compréhensible au fond ? vous n’êtes pas des leurs, vous ne leur ressemblez pas : ils ont tous été serfs ou soldats.