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commun que nous eûmes beaucoup à endurer, car nos forces n’égalaient pas les leurs, et nous ne pouvions vraiment les aider. Rien n’est plus difficile que de gagner la confiance du peuple, à plus forte raison celle de gens pareils, et de mériter leur affection.

Il n’y avait que quelques ci-devant nobles dans toute la maison de force. D’abord cinq Polonais, — dont je parlerai plus loin en détail, — que les forçats détestaient, plus peut-être que les gentilshommes russes. Les Polonais (je ne parle que des condamnés politiques) étaient toujours avec eux sur un pied de politesse contrainte et offensante, ne leur adressaient presque jamais la parole et ne cachaient nullement le dégoût qu’ils ressentaient en pareille compagnie ; les forçats le comprenaient parfaitement et les payaient de la même monnaie.

Il me fallut près de deux ans pour gagner la bienveillance de certains de mes compagnons, mais la majeure partie d’entre eux m’aimait et déclarait que j’étais un brave homme.

Nous étions en tout, — en me comptant, — cinq nobles russes dans la maison de force. J’avais entendu parler de l’un d’eux, même avant mon arrivée, comme d’une créature vile et basse, horriblement corrompue, faisant métier d’espion et de délateur ; aussi, dès le premier jour, me refusai-je à entrer en relation avec cet homme. Le second était le parricide dont j’ai parlé dans ces mémoires. Quant au troisième, il se nommait Akim Akimytch : j’ai rarement rencontré un original pareil, le souvenir qu’il m’a laissé est encore vivant.

Grand, maigre, faible d’esprit et terriblement ignorant, il était raisonneur et minutieux comme un Allemand. Les forçats se moquaient de lui, mais ils le craignaient à cause de son caractère susceptible, exigeant et querelleur. Dès son arrivée, il s’était mis sur un pied d’égalité avec eux, il les injuriait et les battait. D’une honnêteté phénoménale, il