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— N’aie pas peur, quand la faim te talonnerait, tu irais bel et bien demander du pain à un paysan !

Nouveaux éclats de rire.

— Du pain ? menteur !

— Qu’as-tu donc à blaguer ? Vous avez tué, ton oncle Vacia et toi, la mort bovine , c’est pour ça qu’on vous a déportés.

Les rires redoublèrent. Les forçats sérieux avaient l’air indignés.

— Menteur ! cria Skouratof — c’est Mikitka qui vous a raconté cela ; il ne s’agissait pas de moi, mais de l’oncle Vacia, et vous m’avez confondu avec lui. Je suis Moscovite, et vagabond dès ma plus tendre enfance. Tenez, quand le chantre m’apprenait à lire la liturgie, il me pinçait l’oreille en me disant : Répète : « Aie pitié de moi, Seigneur, par ta grande bonté », etc. Et je répétais avec lui : « On m’a emmené à la police par ta grande bonté », etc. Voilà ce que j’ai fait depuis ma plus tendre enfance.

Tous éclatèrent de rire. C’est tout ce que Kouratof désirait, il fallait qu’il fît le bouffon. On en revint bientôt aux conversations sérieuses, surtout les vieillards et les connaisseurs en évasions. Les autres forçats plus jeunes, ou plus calmes de caractère, écoutaient tout réjouis, la tête tendue ; une grande foule s’était rassemblée à la cuisine. Il n’y avait naturellement pas de sous-officiers, sans quoi l’on n’aurait point parlé devant eux à cœur ouvert. Parmi les plus joyeux je remarquai un Tartare de petite taille, aux pommettes saillantes, et dont la figure était très-comique. Il s’appelait Mametka, ne parlait presque pas le russe et ne comprenait guère ce que les autres disaient, mais il allongeait tout de même la tête dans la foule, et écoutait, écoutait avec béatitude.