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ma vie passée. Quelles espérances germaient alors dans mon cœur ! Je pensais, je décidais, je me jurais de ne plus commettre les fautes que j’avais commises, et d’éviter les chutes qui m’avaient brisé. Je me fis le programme de mon avenir, en me promettant d’y rester fidèle. Je croyais aveuglément que j’accomplirais, que je pouvais accomplir tout ce que je voulais… J’attendais, j’appelais avec transport ma liberté… Je voulais essayer de nouveau mes forces dans une nouvelle lutte. Parfois une impatience fiévreuse m’étreignait… Je souffre rien qu’à réveiller ces souvenirs. Bien entendu, cela n’intéresse que moi… J’écris ceci parce que je pense que chacun me comprendra, parce que chacun sentira de même, qui aura le malheur d’être condamné et emprisonné, dans la fleur de l’âge, en pleine possession de ses forces.

Mais à quoi bon !… je préfère terminer mes mémoires par un récit quelconque, afin de ne pas les finir trop brusquement.

J’y pense ; quelqu’un demandera peut-être s’il est impossible de s’enfuir de la maison de force, et si, pendant tout le temps que j’y ai passé, il n’y eut pas de tentative d’évasion. J’ai déjà dit qu’un détenu qui a subi deux ou trois ans commence à tenir compte de ce chiffre, et calcule qu’il vaut mieux finir son temps sans encombre, sans danger, et devenir colon après sa mise en liberté. Mais ceux qui calculent ainsi sont les forçats condamnés pour un temps relativement court : ceux dont la condamnation est longue sont toujours prêts à risquer… Pourtant les tentatives d’évasion étaient rares. Fallait-il attribuer cela à la lâcheté des forçats, à la sévérité de la discipline militaire, ou bien à la situation de notre ville qui ne favorisait guère les évasions (car elle était en pleine steppe découverte) ? Je n’en sais rien. Je crois que tous ces motifs avaient leur influence… Il était difficile de s’évader de notre prison : de mon temps, deux forçats l’essayèrent : c’étaient des criminels d’importance.