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d’un boutiquier enrichi. Sans la moindre instruction, il ne s’intéressait nullement à ce qui ne concernait pas son métier de peintre au gros pinceau ; il faut reconnaître que c’était un peintre remarquable ; nos chefs entendirent bientôt parler de ses talents, et toute la ville employa B—m à décorer les murailles et les plafonds. En deux ans, il décora presque tous les appartements des employés, qui lui payaient grassement son travail ; aussi ne vivait-il pas trop misérablement. On l’envoya travailler avec trois camarades, dont deux apprirent parfaitement son métier ; l’un d’eux, T—jevski, peignait presque aussi bien que lui. Notre major, qui habitait un logement de l’État, fit venir B—m et lui ordonna de peindre les murailles et les plafonds. B—m se donna tant de peine que l’appartement du général gouverneur semblait peu de chose en comparaison de celui du major. La maison était vieille et décrépite, à un étage, très-sale, tandis que l’intérieur était décoré comme un palais ; notre major jubilait… Il se frottait les mains et disait à tout le monde qu’il allait se marier. — « Comment ne pas se marier, quand on a un pareil appartement ? » faisait-il très-sérieusement. Il était toujours plus content de B—m et de ceux qui l’aidaient. Ce travail dura un mois. Pendant tout ce temps, le major changea d’opinion à notre sujet et commença même à nous protéger, nous autres condamnés politiques. Un jour, il fit appeler J—ki.

— J—ki, lui dit-il, je t’ai offensé, je t’ai fait fouetter sans raison. Je m’en repens. Comprends-tu ? moi, moi, je me repens !

J—ki répondit qu’il comprenait parfaitement.

— Comprends-tu que moi, moi, ton chef, je t’aie fait appeler pour te demander pardon ? Imagines-tu cela ? qui es-tu pour moi ? Un ver ! moins qu’un ver de terre : tu es un forçat, et moi, par la grâce de Dieu , major… Major, comprends-tu cela ?