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Je me nommai.

— Sergent ! qu’on les mène à la maison de force, qu’on les rase au corps de garde, en civils… la moitié du crâne, et qu’on les ferre demain ! Quelles capotes avez-vous là ? d’où les avez-vous ? nous demanda-t-il brusquement en apercevant les capotes grises à ronds jaunes cousus dans le dos, qu’on nous avait délivrées à Tobolsk, — C’est un nouvel uniforme, pour sûr c’est un nouvel uniforme… On projette encore… Ça vient de Pétersbourg… dit-il en nous examinant tour à tour. — Ils n’ont rien avec eux ? fit-il soudain au gendarme qui nous escortait.

— Ils ont leurs propres habits, Votre Haute Noblesse, répondit celui-ci en se mettant au port d’armes, non sans tressauter légèrement. Tout le monde le connaissait et le craignait.

— Enlevez-leur tout ça ! Ils ne doivent garder que leur linge, le linge blanc ; enlevez le linge de couleur s’il y en a, et vendez-le aux enchères. On inscrira le montant aux recettes. Le forçat ne possède rien, continua-t-il en nous regardant d’un œil sévère. — Faites attention ! conduisez-vous bien ! que je n’entende pas de plaintes ! sans quoi… punition corporelle ! — Pour le moindre délit — les v-v-verges !

Je fus presque malade ce soir-là de cet accueil auquel je n’étais pas habitué : l’impression était d’autant plus douloureuse que j’entrais dans cet enfer ! Mais j’ai déjà raconté tout cela.

J’ai déjà dit que nous n’avions aucune immunité, aucun allégement dans notre travail quand les autres forçats étaient présents ; on essaya pourtant de nous venir en aide en nous envoyant pendant trois mois, B—ski et moi, à la chancellerie des ingénieurs en qualité de copistes, mais en secret ; tous ceux qui devaient le savoir le savaient, mais faisaient semblant de ne rien voir. C’étaient les chefs ingénieurs qui nous avaient valu cette bonne aubaine, pendant le peu de temps que le lieutenant-colonel G—kof fut notre commandant. Ce chef (qui ne resta pas plus de six mois,