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ni leur croyance religieuse, ni leurs convictions, toutes choses habituelles au bas peuple, dans ses rapports avec les étrangers, surtout les Allemands. Au fond, on ne fait que se moquer de l’Allemand, qui est pour le peuple russe un être bouffon et grotesque. Nos forçats avaient beaucoup plus de respect pour les nobles polonais que pour nous autres Russes ; ils ne touchaient pas à ceux-là ; mais je crois que les Polonais ne voulaient pas remarquer ce trait et le prendre en considération. — Je parlais de T—ski ; je reviens à lui. Quand il quitta avec son camarade leur première station d’exil pour passer dans notre forteresse, il avait porté presque tout le temps son ami B…, faible de constitution et de santé, épuisé au bout d’une demi-étape. Ils avaient été exilés tout d’abord à Y—gorsk, où ils se trouvaient fort bien ; la vie y était moins dure que dans notre forteresse. Mais à la suite d’une correspondance innocente avec les déportés d’une autre ville, on avait jugé nécessaire de les transporter dans notre maison de force pour qu’ils y fussent directement surveillés par la haute administration. Jusqu’à leur arrivée, M—tski avait été seul. Combien il avait dû languir, pendant cette première année de son exil !

J—ki était ce vieillard qui se livrait toujours à la prière, et dont j’ai parlé plus haut. Tous les condamnés politiques étaient des hommes jeunes, très-jeunes même, tandis que J—ki était âgé de cinquante ans au moins.

Il était certainement honnête, mais étrange. Ses camarades T—ski et B—ski le détestaient et ne lui parlaient pas ; ils le déclaraient entêté et tracassier, je puis témoigner qu’ils avaient raison. Je crois que dans un bagne, — comme dans tout lieu où les gens sont rassemblés de force et non de bon gré, — on se querelle et l’on se hait plus vite qu’en liberté. Beaucoup de causes contribuent à ces continuelles brouilleries. J—ki était vraiment désagréable et borné ; aucun de ses camarades n’était bien avec lui ; nous