sa voix devenait plus grave et plus posée ; il la baissait d’un ton, quand il prononçait le nom de « Sainte-Anne » avec un certain mystère ; pendant trois minutes au moins, il restait silencieux et sérieux… Pendant toute cette première année, j’avais des passes absurdes où je haïssais cordialement Akim Akimytch, sans savoir pourquoi, des bouffées de désespoir durant lesquelles je maudissais la destinée qui m’avait donné un lit de camp où sa tête touchait la mienne. Une heure après, je me reprochais ces sorties. Du reste, je ne fus en proie à ces actes que pendant la première année de ma réclusion. Par la suite je me fis au caractère d’Akim Akimytch et j’eus honte de mes bourrasques antérieures. Je ne crois pas me souvenir que nous nous fussions jamais ouvertement querellés.
De mon temps, outre les trois nobles russes dont j’ai parlé, il y en avait encore huit autres : j’étais sur un pied d’amitié étroite avec quelques-uns d’entre eux, mais pas avec tous. Les meilleurs étaient maladifs, exclusifs et intolérants au plus haut degré. Je cessai même de parler à deux d’entre eux. Il n’y en avait que trois qui fussent instruits, B—ski, M—tski et le vieillard J—ki, qui avait été autrefois professeur de mathématiques, — brave homme, grand original et très-borné intellectuellement, malgré son érudition. — M—tski et B—ski étaient tout autres. Du premier coup, nous nous entendîmes avec M—tski : je ne me querellai pas une seule fois avec lui, je l’estimai fort, mais sans l’aimer ni m’attacher à lui ; je ne pus jamais y arriver. Il était profondément aigri et défiant, avec beaucoup d’empire sur lui-même : justement cela me déplaisait, on sentait que cet homme n’ouvrirait jamais son âme à personne : il se peut pourtant que je me trompasse. C’était une forte et noble nature… Son scepticisme invétéré se trahissait dans une habileté extraordinaire, dans la prudence de son commerce avec son entourage. Il souffrait de cette dualité de son âme, car il était en même temps sceptique