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« Il y a quelque temps, l’éditeur des Souvenirs de la Maison des morts a reçu de Sibérie la nouvelle que ce parricide était innocent, et qu’il avait subi pendant dix ans les travaux forcés sans les mériter, son innocence ayant été officiellement reconnue. Les vrais criminels avaient été découverts et avaient avoué, tandis que le malheureux recevait sa liberté. L’éditeur ne saurait douter de l’authenticité de ces nouvelles…

« Il est inutile de rien ajouter. À quoi bon s’étendre sur ce qu’il y a de tragique dans ce fait ? à quoi bon parler de cette vie brisée par une telle accusation ? Le fait parle trop haut de lui-même.

« Nous pensons aussi que si de pareilles erreurs sont possibles, leur seule possibilité ajoute à notre récit un trait saillant et nouveau, elle aide à compléter et à caractériser les scènes que présentent les Souvenirs de la Maison des morts. »

Et maintenant continuons…

J’ai déjà dit que je m’étais accoutumé enfin à ma condition, mais cet « enfin » avait été pénible et long à venir. Il me fallut en réalité près d’une année pour m’habituer à la prison, et je regarderai toujours cette année comme la plus affreuse de ma vie ; c’est pourquoi elle s’est gravée tout entière dans ma mémoire, jusqu’en ses moindres détails. Je crois même que je me souviens de chaque heure l’une après l’autre. J’ai dit aussi que les autres détenus ne pouvaient pas davantage s’habituer à leur vie. Pendant toute cette première année, je me demandais s’ils étaient vraiment calmes, comme ils paraissaient l’être. Ces questions me préoccupaient fort. Comme je l’ai mentionné plus haut, tous les forçats se sentaient étrangers dans le bagne ; ils n’y étaient pas chez eux, mais bien plutôt comme à l’auberge, de passage, à une étape quelconque. Ces hommes, exilés pour toute leur vie, paraissaient, les uns agités, les autres abattus, mais chacun d’eux rêvait à quelque chose d’impossible.