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une allure indépendante et dégagée, et le général s’adressait à lui à chaque instant avec une politesse exquise. Ce civil venait aussi de Pétersbourg. Il intrigua fort tous les forçats, à cause de la déférence qu’avait pour lui un général si important ! On apprit son nom et ses fonctions par la suite, mais avant de les connaître, on parla beaucoup de lui. Notre major, tiré à quatre épingles, en collet orange, ne fit pas une impression trop favorable au général, à cause de ses yeux injectés de sang et de sa figure violacée et couperosée. Par respect pour son supérieur, il avait enlevé ses lunettes et restait à quelque distance, droit comme un piquet, attendant fiévreusement le moment où l’on exigerait quelque chose de lui, pour courir exécuter le désir de Son Excellence ; mais le besoin de ses services ne se fit pas sentir. Le général parcourut silencieusement les casernes, jeta un coup d’œil dans la cuisine, où il goûta la soupe aux choux aigres. On me montra à lui, en lui disant que j’étais ex-gentilhomme, que j’avais fait ceci et cela.

— Ah ! répondit le général. — Et quelle est sa conduite ?

— Satisfaisante pour le moment, Votre Excellence, satisfaisante.

Le général fit un signe de tête et sortit de la maison de force au bout de deux minutes. Les forçats furent éblouis et désappointés, ils demeurèrent perplexes. Quant à se plaindre du major, il ne fallait pas même y penser. Celui-ci était rassuré d’avance à cet égard.



VI


LES ANIMAUX DE LA MAISON DE FORCE.


L’achat de Gniédko (cheval bai), qui eut lieu peu de temps après, fut une distraction beaucoup plus agréable et plus intéressante pour les forçats que la visite du haut personnage