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bottes, il n’y a pas longtemps, il s’est fiancé à la fille de l’archiprêtre.

— Mais il ne s’est pas marié : on lui a montré la porte, ça prouve qu’il est pauvre. Un joli fiancé ! il n’a rien que les habits qu’il porte : l’année dernière, à Pâques, il a perdu aux cartes tout ce qu’il avait. C’est Fedka qui me l’a dit.

— Eh, eh ! camarade, moi aussi j’ai été marié, mais il ne fait pas bon se marier pour un pauvre diable ; on a vite fait de prendre femme, mais le plaisir n’est pas long ! remarque Skouratof qui vient se mêler à la conversation générale.

— Tu crois qu’on va s’amuser à parler de toi ! fait le gars dégourdi qui a été fourrier de bataillon. — Quant à toi, Kvassof, je te dirai que tu es un grand imbécile. Si tu crois que le major peut graisser la patte à un général-réviseur, tu te trompes joliment ; t’imagines-tu qu’on l’envoie de Pétersbourg spécialement pour inspecter ton major ! Tu es encore fièrement benêt, mon gaillard, c’est moi qui te le dis.

— Et tu crois que parce qu’il est général il ne prend pas de pots-de-vin ? remarque d’un ton sceptique quelqu’un dans la foule.

— Bien entendu ! mais s’il en prend, il les prend gros.

— C’est sûr, ça monte avec le grade.

— Un général se laisse toujours graisser la patte, dit Kvassof d’un ton sentencieux.

— Leur as-tu donné de l’argent, toi, pour en parler aussi sûrement ? interrompt tout à coup Baklouchine d’un ton de mépris. — As-tu même vu un général dans ta vie ?

— Oui, monsieur.

— Menteur !

— Menteur toi-même !

— Eh bien, enfants, puisqu’il a vu un général, qu’il nous dise lequel il a vu ! Allons, dis vite ; je connais tous les généraux.

— J’ai vu le général Zibert, fait Kvassof d’un ton indécis.