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devant une grosse épaulette, un seigneur ventru, une dame somptueusement habillée, mais très-dévote, pressée de gagner le premier rang et prête à se quereller pour avoir l’honneur d’occuper les premières places. C’était là, à cette entrée de l’église, me semblait-il alors, que l’on priait avec ferveur, avec humilité, en se prosternant jusqu’à terre, avec la pleine conscience de son abaissement. Et maintenant j’étais à la place de ce menu peuple, non, pas même à sa place, car nous étions enchaînés et avilis ; on s’écartait de nous, on nous craignait, et on nous faisait l’aumône ; je me souviens que je trouvais là une sensation raffinée, un plaisir étrange. « Qu’il en soit ainsi ! » pensais-je. Les forçats priaient avec ardeur ; ils apportaient tous leur pauvre kopek pour un petit cierge ou pour la collecte en faveur de l’église, « Et moi aussi je suis un homme », se disaient-ils peut-être en déposant leur offrande : « devant Dieu tous sont égaux… » Nous communiâmes après la messe de six heures. Quand le prêtre, le ciboire à la main, récita les paroles : « Aie pitié de moi comme du brigand que tu as sauvé… » — presque tous les forçats se prosternèrent en faisant sonner leurs chaînes, je crois qu’ils prenaient à la lettre ces mots pour eux-mêmes.

La semaine sainte arriva. L’administration nous délivra un œuf de Pâques et un morceau de pain de farine de froment.

La ville nous combla d’aumônes. Comme à Noël, visite du prêtre avec la croix, visite des chefs, les choux gras, et aussi l’enivrement et la flânerie générale, avec cette seule différence que l’on pouvait déjà se promener dans la cour et se chauffer au soleil. Tout semblait plus clair, plus large qu’en hiver, mais plus triste aussi. Le long jour d’été sans fin paraissait plus particulièrement insupportable les jours de fête. Les jours ouvriers, au moins, la fatigue le rendait plus court. Les travaux d’été étaient sans comparaison beaucoup plus