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— C’est ça, et puis tu voulais qu’elle comprit ce qui l’attendait…

— Tais-toi, oncle ! chez nous, tout de suite après la cérémonie du mariage, on mène les époux dans une chambre à part, tandis que les autres restent à boire en les attendant. On nous laisse seuls avec Akoulka : elle était pâle, sans couleurs aux joues, tout effrayée. Ses cheveux étaient aussi fins, aussi clairs que du lin, — ses yeux très-grands. Presque toujours elle se taisait ; on ne l’entendait jamais, on aurait pu croire qu’elle était muette ; très-singulière, cette Akoulka. Tu peux te figurer la chose ; mon fouet était prêt, sur le lit. — Eh bien ! elle était innocente, et je n’avais rien, mais rien à lui reprocher !

— Pas possible !

— Vrai ! honnête comme une fille d’une honnête maison. Et pourquoi, frère, pourquoi avait-elle enduré cette torture ? Pourquoi Philka Marosof l’avait-il diffamée ?

— Oui, pourquoi ?

— Alors je suis descendu du lit et je me suis mis à genoux devant elle, en joignant les mains : — Petite mère, Akoulina Koudimovna ! que je lui dis, pardonne-moi d’avoir été assez sot pour croire toutes ces calomnies. Pardonne-moi, je suis une canaille ! — Elle était assise sur le lit à me regarder ; elle me posa les deux mains sur les épaules, et se mit à rire, et pourtant les larmes lui coulaient le long des joues : elle sanglotait et riait en même temps… Je sortis alors et je dis à tous les gens de la noce : « Gare à Philka Marosof, si je le rencontre, il ne sera bientôt plus de ce monde. » Les vieux ne savaient trop que dire dans leur joie ; la mère d’Akoulka était prête à se jeter aux pieds de sa fille et sanglotait. Alors le vieux dit : « — Si nous avions su et connu tout cela, notre fille bien-aimée, nous ne t’aurions pas donné un pareil mari, » — Il t’aurait fallu voir comme nous étions habillés le premier dimanche après notre mariage, quand nous sortîmes de l’église ; moi, en cafetan de drap fin,