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et s’était enfui avec l’argent : il avait aussi de grandes oreilles. Alors, vous comprenez, on a fait savoir ça partout. Je répondais au signalement ; voilà pourquoi il me tourmentait avec son « Écris ! » Il voulait savoir si je savais écrire et comment j’écrivais.

— Un vrai finaud ! Et ça faisait mal ?

— Ne m’en parlez pas !

Un éclat de rire unanime retentit.

— Eh bien ! tu as écrit ?…

— Qu’est-ce que j’aurais écrit ? j’ai promené ma plume sur le papier, je l’ai tant promenée qu’il a cessé de me tourmenter. Il m’a allongé une douzaine de gifles, comme de juste, et puis m’a laissé aller… en prison, bien entendu.

— Est-ce que tu sais vraiment écrire ?

— Oui, je savais écrire, comment donc ? mais depuis qu’on a commencé à se servir de plumes, j’ai tout à fait oublié !…

Grâce aux bavardages des forçats qui peuplaient l’hôpital, le temps s’écoulait. Mon Dieu ! quel ennui ! Les jours étaient longs, étouffants et monotones, tant ils se ressemblaient. Si seulement j’avais eu un livre ! Et pourtant, j’allais souvent à l’infirmerie, surtout au commencement de mon exil, soit parce que j’étais malade, soit pour me reposer, pour sortir de la maison de force. La vie était pénible là-bas, encore plus pénible qu’à l’hôpital, surtout au point de vue moral. Toujours cette envie, cette hostilité querelleuse, ces chicanes continuelles qu’on nous cherchait, à nous autres gentilshommes, toujours ces visages menaçants, haineux ! Ici, à l’ambulance, on vivait au moins sur un pied d’égalité, en camarades. Le moment le plus triste de toute la journée, c’était la soirée et le commencement de la nuit. On se couchait de bonne heure… Une veilleuse fumeuse scintille au fond de la salle, près de la porte, comme un point brillant. Dans notre coin, nous sommes dans une obscurité presque complète. L’air est infect et étouffant. Certains malades ne