avec sa pipe, on lui apporte une tasse de thé : c’était un solide gaillard, avec des favoris. En plus de nous cinq, il y avait encore là trois vagabonds qu’on venait d’amener. Vous savez, camarades, qu’il n’y a rien de plus comique qu’un vagabond, parce qu’il oublie tout ce qu’il fait ; on lui taperait sur la tête avec un gourdin, qu’il répondrait tout de même qu’il ne sait rien, qu’il a tout oublié. — Le maître de police se tourne de mon côté et me demande carrément : — Qui es-tu ? Je réponds ce que tous les autres disent : — Je ne me souviens de rien, Votre Haute Noblesse.
— Attends, j’ai encore à causer avec toi : je connais ton museau. Et le voilà qui me regarde bien fixement. Je ne l’avais pourtant vu nulle part. Il demande au second : Qui es-tu ?
— File-d’ici, Votre Haute Noblesse !
— On t’appelle File-d’ici ?
— On m’appelle comme ça, Votre Haute Noblesse.
— Bien, tu es File-d’ici ! et toi ? fait-il au troisième.
— Avec-lui, Votre Haute Noblesse !
— Mais comment t’appelle-t-on ?
— Moi ? je m’appelle « Avec-lui », Votre Haute Noblesse.
— Qui t’a donné ce nom-là, canaille ?
— De braves gens, Votre Haute Noblesse ! ce ne sont pas les braves gens qui manquent sur la terre, Votre Haute Noblesse le sait bien.
— Mais qui sont ces braves gens ?
— Je l’ai un peu oublié, Votre Haute Noblesse, pardonnez-moi cela généreusement !
— Ainsi tu les as tous oubliés, ces braves gens ?
— Tous oubliés, Votre Haute Noblesse.
— Mais tu avais pourtant des parents, un père, une mère. Te souviens-tu d’eux ?
— Il faut croire que j’en ai eu, des parents, Votre Haute Noblesse, mais cela aussi, je l’ai un peu oublié… peut-être bien que j’en ai eu, Votre Haute Noblesse.