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ou insultaient ces douillets, qui se taisaient aussitôt ; on eût dit qu’ils n’attendaient que des injures pour se taire. Oustiantsef n’aimait pas ce genre de pose, et ne laissait jamais passer l’occasion de remettre à l’ordre un délinquant. Du reste, il aimait à réprimander : c’était un besoin engendré par la maladie et aussi par sa stupidité. Il vous regardait d’abord fixement et se mettait à vous faire une longue admonestation d’un ton calme et convaincu. On eût dit qu’il avait mission de veiller à l’ordre et à la moralité générale.

— Il faut qu’il se mêle de tout, disaient les détenus en riant, car ils avaient pitié de lui et évitaient les querelles.

— A-t-il assez bavardé ? trois voitures ne seraient pas de trop pour charrier tout ce qu’il a dit.

— Qu’as-tu à parler ? on ne se met pas en frais pour un imbécile. Qu’a-t-il à crier pour un coup de lancette ?

— Qu’est-ce que ça peut bien te faire ?

— Non ! camarades, interrompt un détenu ; les ventouses, ce n’est rien ; j’en ai goûté, mais le mal le plus ennuyeux, c’est quand on vous tire longtemps l’oreille, il n’y a pas à dire.

Tous les détenus partent d’un éclat de rire.

— Est-ce qu’on te les a tirées ?

— Parbleu ! c’est connu.

— Voilà pourquoi elles se tiennent droites comme des perches.

Ce forçat, Chapkine, avait en effet de très-longues oreilles toutes droites. Ancien vagabond, encore jeune, intelligent et paisible, il parlait avec une bonne humeur cachée sous une apparence sérieuse, ce qui donnait beaucoup de comique à ses récits.

— Comment pourrais-je savoir qu’on t’a tiré l’oreille, cerveau borné ? recommençait Oustiantsef en s’adressant avec indignation à Chapkine. Chapkine ne prêtait aucune attention à l’aigre interpellation de son camarade.