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religieusement qu’on lui ferait grâce de sa punition. Il parlait fort tranquillement et avec assurance de l’amour passionné qu’il avait inspiré à cette demoiselle. Cette invention étrange et romanesque, l’amour d’une jeune fille bien élevée pour un homme de près de cinquante ans, affligé d’un visage aussi triste, aussi monstrueux, indiquait bien ce que l’effroi du châtiment avait pu sur cette timide créature. Peut-être avait-il vraiment vu quelqu’un de sa lucarne, et la folie, que la peur grandissante avait fait germer en lui, avait trouvé sa forme. Ce malheureux soldat, qui sans doute n’avait jamais pensé aux demoiselles, avait inventé tout à coup son roman, et s’était cramponné à cette espérance. Je l’écoutai en silence et racontai ensuite l’histoire aux autres forçats. Quand ceux-ci le questionnèrent curieusement, il garda un chaste silence. Le lendemain, le docteur l’interrogea ; comme le fou affirma qu’il n’était pas malade, on l’inscrivit bon pour la sortie. Nous apprîmes que le médecin avait griffonné « Sanat est » sur sa feuille, quand il était déjà trop tard pour l’avertir. Nous aussi, du reste, nous ne savions pas au juste ce qu’il avait. La faute en était à l’administration, qui nous l’avait envoyé sans indiquer pour quelle cause elle jugeait nécessaire de le faire entrer à l’hôpital : il y avait là une négligence impardonnable. Quoi qu’il en soit, deux jours plus tard, on mena ce malheureux sous les verges. Il fut, paraît-il, abasourdi par cette punition inattendue ; jusqu’au dernier moment il crut qu’on le gracierait ; quand on le conduisit devant le front du bataillon, il se mit à crier au secours. Comme la place et les couchettes manquaient dans notre salle, on l’envoya à l’infirmerie ; j’appris que pendant huit jours entiers il ne dit pas un mot et qu’il demeura confus, très-triste… Quand son dos fut guéri, on l’emmena… Je n’entendis plus jamais parler de lui.

En ce qui concerne les remèdes et le traitement des malades, ceux qui étaient légèrement indisposés n’observaient