— Vois-tu, mon cher, je vais te punir comme il faut, car tu le mérites. Mais je puis te faire une grâce : je ne te ferai pas attacher à la crosse du fusil. Tu iras tout seul, à la nouvelle mode : tu n’as qu’à courir de toutes tes forces devant le front ! Bien entendu chaque verge te frappera, mais tu en auras plus vite fini, n’est-ce pas ? Voyons, qu’en penses-tu ? veux-tu essayer ?
Le détenu, qui l’a écouté plein de défiance et d’incertitude, se dit : « Qui sait ? peut-être bien que cette manière-là est plus avantageuse que l’autre ; si je cours de toutes mes forces, ça durera cinq fois moins, et puis, les verges ne m’atteindront peut-être pas toutes. »
— Bien, Votre Noblesse, je consens.
— Et moi aussi, je consens. — Allons ! ne bayez pas aux corneilles, vous autres ! crie le lieutenant aux soldats. — Il sait d’avance que pas une verge n’épargnera le dos de l’infortuné ; le soldat qui manquerait son coup serait sûr de son affaire. Le forçat essaye de courir dans la rue verte, mais il ne passe pas quinze rangs, car les verges pleuvent comme grêle, comme l’éclair, sur sa pauvre échine ; le malheureux tombe en poussant un cri, on le croirait cloué sur place ou abattu par une balle. — Eh ! non, Votre Noblesse, j’aime mieux qu’on me fouette d’après le règlement, dit-il alors en se soulevant péniblement, pâle et effrayé, tandis que Jérébiatnikof, qui savait d’avance l’issue de cette farce, se tient les côtes et éclate de rire. Mais je ne puis rapporter tous les divertissements qu’il avait inventés et tout ce qu’on racontait de lui.
On parlait aussi dans notre salle d’un lieutenant Smékalof, qui remplissait les fonctions de commandant de place, avant l’arrivée de notre major actuel. On parlait de Jérébiatnikof avec indifférence, sans haine, mais aussi sans vanter ses hauts faits ; on ne le louait pas, en un mot, on le méprisait : tandis qu’au nom de Smékalof, la maison de force était unanime dans ses éloges et son enthousiasme. Ce lieutenant