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paternel, faites que je prie Dieu toute ma vie pour tous, ne me perdez pas, compatissez… » Jérébiatnikof attendait cela ; il suspendait alors l’exécution, et entamait la conversation suivante avec le détenu, d’un ton sentimental et pénétré :

— Mais, mon cher, disait-il, que dois-je faire ? Ce n’est pas moi qui te punis, c’est la loi !

— Votre Noblesse ! vous pouvez faire ce que vous voulez ; ayez pitié de moi !…

— Crois-tu que je n’aie vraiment pas pitié de toi ? Penses-tu que ce soit un plaisir pour moi de te voir fouetter ? Je suis un homme pourtant. Voyons, suis-je un homme, oui ou non ?

— C’est certain, Votre Noblesse ! on sait bien que les officiers sont nos pères, et nous leurs enfants. Soyez pour moi un véritable père ! criait le détenu qui entrevoyait une possibilité d’échapper au châtiment.

— Ainsi, mon ami, juge toi-même, tu as une cervelle pour réfléchir ; je sais bien que, par humanité, je dois te montrer de la condescendance et de la miséricorde, à toi, pécheur.

— Votre Noblesse ne dit que la pure vérité.

— Oui, je dois être miséricordieux pour toi, si coupable que tu sois. Mais ce n’est pas moi qui te punis, c’est la loi ! Pense un peu : je sers Dieu et ma patrie, et par conséquent je commets un grave péché si j’atténue la punition fixée par la loi, penses-y !

— Votre Noblesse !…

— Allons, que faire ? passe pour cette fois ! Je sais que je vais faire une faute, mais il en sera comme tu le désires… Je te fais grâce, je te punirai légèrement. Mais si j’allais te rendre un mauvais service par cela même ? Je te ferai grâce, je te punirai légèrement, et tu penseras qu’une autre fois je serai aussi miséricordieux, et tu feras de nouveau des bêtises, hein ? ma conscience pourtant…

— Votre Noblesse ! Dieu m’en préserve… Devant le trône du créateur céleste, je vous…